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« I ♥ Paris » et « J’♥ Paris » – L’amour de Paris ne se monopolise pas

I_Love_Paris_mugLa Cour de Cassation française a, dans son arrêt du 6 janvier 2015, confirmé l’annulation des marques « I ♥ Paris » et « J’♥ Paris » pour défaut de distinctivité.

La fonction de la marque était ici au cœur du débat judiciaire. Le titulaire malheureux des marques susmentionnées estimait que celles-ci étaient utilisées à titre de marque du fait de leur position sur les étiquettes et invoquait à titre subsidiaire l’acquisition du caractère distinctif du fait de l’utilisation. La Cour ne l’a pas vu ainsi et a considéré que les signes ne remplissaient pas leur fonction d’origine et ne pouvaient donc pas être maintenus en tant que marque.

Nous le savons tous la fonction principale de la marque consiste en l’identification de l’origine des produits et services. Cependant, il n’en reste pas moins que d’autres fonctions peuvent venir se greffer à la marque.

La fonction esthétique de la marque a été reconnue par plusieurs décisions et notamment par l’arrêt l’Oréal Bellure[1]. Rappelons que, même si il arrive que des marques soient de vraies créations esthétiques, ni l’originalité ni la nouveauté du signe ne sauraient être des critères d’acceptation de la marque. Le Tribunal de Première Instance a néanmoins pu refuser un signe qui était « common place » c’est à dire banal[2].

Le plus important réside donc en principe dans la perception qu’a le consommateur sur la marque.

Ayant cela à l’esprit les juges du la Cour de Cassation ont décidé à juste titre que les signes « I ♥ Paris » et « J’♥ Paris » étaient perçus par le consommateur pertinent (un touriste d’attention moyenne) comme des signes décoratifs. La Cour d’appel avait elle-même précisé qu’un tel signe exercerait pour le touriste la fonction de « souvenir de son passage dans la ville de Paris ».

Il est tout à fait possible qu’un signe puisse acquérir la fonction de distinctivité grâce à l’usage qui en est fait (secondary meaning en anglais). Cependant tel n’était pas le cas en l’espèce car comme le rappelle la Cour d’appel de Paris, parmi les 62 pièces des défendeurs, aucun sondage permettant de juger de l’acquisition de la distinctivité par l’usage n’était versé au débat.

Traversons l’Atlantique et arrêtons nous dans le New York des années 70 dans lequel il avait été décidé de relancer l’économie et l’image de la ville en développant le tourisme. C’est dans ce contexte que Milton Glaser a créé le logo devenu célèbre « I ♥ NY» et, peut être ingénument, qu’il l’a cédé gratuitement à la ville de New York[3]. Le logo est depuis devenu un véritable succès commercial. Par le développement de licence d’utilisation, de dépôt de marques dérivées et grâce à la lutte acharnée contre les utilisateurs non autorisés c’est au moins 30 millions de dollars par an qui sont récoltés par la ville de New York[4].

Il est intéressant de voir comme de part et d’autre de l’océan les solutions apportées peuvent être radicalement différentes. Peut-être pourrait-on imaginer que si la municipalité de Paris avait été à l’origine du dépôt de la marque « J’♥ Paris » les juges auraient rendu une solution différente. Mais cela reviendrait alors à apporter une nouvelle condition préalable au dépôt d’une marque : celle de l’intérêt légitime de son déposant.

Toujours est-il qu’il convient d’applaudir cette décision annulant ces marques pour défaut de distinctivité.

 

Camille Rideau

 

 

[1] C-487/07,L’Oréal SA, Lancôme parfums et beauté & Cie SNC et Laboratoire Garnier & Cie contre Bellure NV, Malaika Investments Ltd et Starion International Ltd., 18 juin 2009
[2] T-128/01, DaimlerChrysler / OHMI, 6 mars 2003
[3] http://www.logoworks.com/blog/a-brief-history-of-the-i-love-new-york-logo/
[4] https://www.muckrock.com/news/archives/2013/nov/19/new-york-cashes-i-ny-copyright/