Home » Articles (français) » Une nouvelle façon de bloquer les plateformes de partage en ligne ?

Une nouvelle façon de bloquer les plateformes de partage en ligne ?

La Cour européenne de justice de l’Union européenne (CJUE) a décidé que « The Pirate Bay » portait atteinte aux droits d’auteur

Avec sa décision du 14 juin, la CJUE a probablement établi la procédure à suivre contre les plateformes de partage en ligne. Jusqu’à aujourd’hui, agir en justice pour limiter la mise à disposition d’œuvres protégées par un droit d’auteur était compliqué et n’offrait pas de solution durable. Ceci est en partie dû au fait que les documents litigieux ne sont pas mis en ligne par les opérateurs des plateformes, mais plutôt par les utilisateurs de celles-ci. De ce fait, les détenteurs de ces droits devaient intenter des actions en justice à l’encontre des plateformes de partage, ainsi que de chaque utilisateur séparément. Toutefois, la CJUE a récemment décidé que les opérateurs de ces plateformes jouaient un rôle décisif dans la mise à disposition de ces œuvres, et leurs actions constitueraient donc une violation des droits d’auteur.

La source de cette décision réside dans la plateforme de partage suédoise « The Pirate Bay », qui permet aux utilisateurs de télécharger des œuvres qui sont, pour la plupart, protégées par des droits d’auteur. Les utilisateurs créent alors ce que l’on appelle les « torrents », constituant des sous-parties d’œuvres, et les partagent sur la plateforme en ligne. Ensuite, les opérateurs de la plateforme répertorient ces documents, afin qu’ils soient facilement identifiés et téléchargés par les utilisateurs. De plus, ils catégorisent les œuvres en fonction de leur forme, genre ou encore popularité.

 

Nouvelle stratégie contre les plateformes de partage en ligne

Alors que jusqu’à lors, les actions en justice étaient plutôt engagées contre les opérateurs des plateformes de partage, cette fois-ci, le demandeur a procédé différemment afin de limiter la distribution des œuvres protégées par des droits d’auteur.

Le demandeur, une fondation néerlandaise nommée Stichting Brein, qui protège les intérêts des titulaires de droits d’auteur, n’a pas intenté une action en justice contre « The Pirate Bay », mais s’est directement attaqué aux fournisseurs d’accès à Internet Ziggo et XS4ALL aux Pays-Bas. Il demandait ainsi qu’ils bloquent les noms de domaine et adresses IP « The Pirate Bay » de leurs abonnés.

Le litige entre Stichting Brein et les fournisseurs Internet est en cours depuis déjà un certain temps. En effet, en 2012, le demandeur avait même réussi à forcer Ziggo et XS4ALL d’interdire l’accès à « The Pirate Bay ». Toutefois, comme des études démontraient que ce blocage n’avait pas conduit à une quelconque baisse d’utilisation des plateformes de partage en ligne aux Pays-Bas, Stichting Brein a été déboutée en appel. Les utilisateurs ont effectivement trouvé d’autres moyens d’accéder à « The Pirate Bay », en usant par exemple de serveurs proxys leur permettant de dissimuler leur localisation.

Après que la plateforme ait été réhabilitée seulement deux ans après la décision à son encontre, en 2014, Stichting Brein a formé un pourvoi à l’encontre de la décision d’appel devant la Hoge Raad (cour suprême des Pays-Bas). Cette dernière devait se prononcer définitivement sur cette affaire, et a décidé de poser une question préjudicielle à la CJUE, dans laquelle elle demandait si une plateforme de partage devait être considérée comme une « communication au public » au sens du droit d’auteur, et constituait ainsi une violation des droits d’auteur. C’est donc seulement si la réponse à cette question était affirmative qu’il serait possible de bloquer « The Pirate Bay » ou de forcer les fournisseurs Internet à le faire.

 

CJUE : Le “rôle essentiel” de la plateforme dans la mise à disponibilité des oeuvres

La CJUE a effectivement répondu positivement à cette question. La mise à disposition et la gestion d’une plateforme de partage en ligne doivent être considérées comme un acte de communication, et pourraient donc porter atteinte aux droits d’auteur. Bien que les opérateurs des plateformes ne fournissent pas les documents eux-mêmes, ils jouent tout de même un rôle primordial dans la mise à disposition de ces œuvres, par leur procédé de référencement et catégorisation.

De plus, les opérateurs de « The Pirate Bay » ne pouvaient pas arguer de leur absence de connaissance des faits, c’est-à-dire du fait que leur plateforme donnait accès à des œuvres qui étaient publiées sans autorisation préalable de leur titulaire. D’une part, ils ont été informés de cela, et d’autre part, ils se sont exprimés sur des forums et blogs à ce sujet. Ils sont même allés jusqu’à souligner leur priorité dans la mise à disposition d’œuvres protégées pour les utilisateurs, et à les encourager à sauvegarder et utiliser ces œuvres à leur gré.

 

Décision clé de la CJUE?

La décision de la CEJ ne signifie pas forcément que « The Pirate Bay » sera réellement bloqué d’accès aux Pays-Bas. Cela dépendra en effet de la décision finale de la Hoge Raad. Toutefois, il serait logique que la Cour suprême suive la décision de la Cour européenne et oblige les fournisseurs Internet à bloquer l’accès au site Internet « The Pirate Bay ».

La CJUE semble avoir rendu un arrêt historique, qui répond explicitement et de manière générale à la question des violations de droits d’auteur par les plateformes de partage en ligne. Cela pourrait ainsi encourager d’autres titulaires de droits d’auteur, partout en Europe, à forcer les fournisseurs Internet à interdire ces plateformes.

Ainsi, les droits des détenteurs de droit d’auteur sont visiblement renforcés par cette décision, étant donné qu’il sera à présent bien plus facile pour eux de faire respecter les interdictions de fonctionnement des plateformes de partage en ligne. Il serait toutefois bien prématuré d’affirmer que cette décision sonne la fin de la piraterie sur Internet.