En bref – Première indication géographique déposée pour un produit manufacturé : les conséquences de l’affaire Laguiole
Depuis l’adoption de la loi du 17 mars 2014 relative à la consommation suivie de son décret d’application n°2015-595 en date du 2 juin 2015, la possibilité de protéger les produits manufacturés par une indication géographique (titre jusqu’alors réservé aux produits agricoles et viticoles) a été accordée.
Il faut rappeler qu’une indication géographique se compose du nom d’un produit (Champagne, Gruyère…) associé à une zone géographique déterminée. Elle est en général perçue non seulement comme une indication d’origine (à l’instar des marques mais de façon plus étendue car elle ne se limite pas à une société) mais également comme une garantie de protection de qualité et de patrimoine.
Lors du dépôt d’une indication géographique auprès de l’INPI un cahier des charges doit être produit indiquant une liste d’éléments tels que la description du processus d’élaboration, la zone géographique clairement définie, la qualité, la réputation et le savoir-faire traditionnel… Le dépôt d’une indication géographique coûte 350 € en France.
Nous en parlons aujourd’hui car depuis le 2 décembre dernier la première indication géographique pour produit manufacturé a été attribuée au « Siège de Liffol » qui pourra être utilisé par toute entreprise réalisant tout ou partie des 22 étapes de fabrication obligatoires dans la zone géographique déterminée d’un périmètre de 165 communes française des Vosges. Liffol était déjà connue comme la capitale du siège et du meuble de style.
Mais c’est avec l’affaire des couteaux Laguiole que tout a commencé et l’occasion est donc prise de revenir sur les derniers développements.
En effet, cette véritable et passionnante saga juridique commença en 1993 quand un homme flairant certainement une belle affaire déposa auprès de l’INPI la marque française « Laguiole » désignant entre autres des produits de coutellerie. Le problème se trouvait dans le fait que ces produits provenaient non pas du village de l’Aubrac à l’origine des couteaux illustres mais de la Chine ou du Pakistan.
Non content d’avoir obtenu une marque française de ce type, cet homme obtenait une marque européenne auprès de l’EUIPO en 2005. Marque faisant immédiatement l’objet d’une demande d’annulation par la société La Forge de Laguiole. Le débat a fait rage jusqu’à ce que le Tribunal de l’Union européenne y mette un terme le 21 octobre 2014 (arrêt n°T‑453/11, Gilbert Szajner v. OHIM). Prenant en compte les activités réelles (et non seulement statutaires) de la société La Forge de Laguiole, le Tribunal a alors estimé qu’il existait un risque de confusion réel avec les produits de coutellerie mais pas avec d’autres produits.
Parallèlement cependant une procédure avait lieu en France qui vient de connaître un dernier rebondissement ou presque avec l’arrêt de la Cour de cassation en date du 4 octobre 2016 (Chambre commerciale, RG n°14-22245). Dans cette affaire, notre homme titulaire des marques Laguiole était, avec ses sociétés, attaqué pour pratiques commerciales trompeuses et parasitisme, ainsi qu’en nullité des marques et, subsidiairement, en déchéance des droits des titulaires sur les marques.
Sur les pratiques commerciales trompeuses et parasitaires la Cour casse l’arrêt d’appel qui n’a pas suffisamment recherché si l’utilisation, pour désigner des produits, du nom d’une commune de 1 300 habitants connue par près de la moitié de la population française, n’était pas susceptible d’induire en erreur le consommateur moyen et de constituer une pratique commerciale trompeuse.
Sur la nullité de la marque, la Cour reproche à la Cour d’appel de ne pas avoir recherché si le déposant n’était pas de mauvaise foi du fait de sa stratégie commerciale visant à priver la commune de Laguiole de l’usage de ce nom nécessaire à son activité principale. Or la fraude corrompt tout et surtout permet l’application de l’article L.712-6 du Code de la propriété intellectuelle de faire annuler le dépôt de marque.
Mais cette affaire a également relancé le débat du « Made in France » et de la possibilité de protéger les produits manufacturés par une indication géographique (titre jusqu’alors réservé aux produits agricoles et viticoles).
Ladite loi a-t-elle toujours une raison d’être depuis l’arrêt de la Cour de cassation offrant une garantie supplémentaire à ces produits manufacturés ? Rien n’est moins sûr mais la métaphore est amusante d’une loi engendrée dans les effusions sanglantes des couteaux et menant au repos des artisans dans le confort des Sièges de Liffol.
Camille Rideau