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La langue dans les contrats internationaux (III): un droit linguistique européen

Pieter_Breugel-The_Tower_of_BabelIV) L’émergence d’un droit linguistique européen

Qu’en est il au niveau de la jurisprudence européenne? Notamment à la lumière de l’arrêt Las rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE)? Cet article soutient l’émergence d’un droit linguistique européen.

A) Les faits de l’arrêt Las

Dans cette affaire, la CJUE a eu à se prononcer sur la validité, au regard du droit européen, du décret de septembre[1] de la Communauté flamande qui règle l’emploi des langues dans les relations sociales au sein des entreprises. En effet, avec la Communauté européenne et l’Union européenne qui a créé une zone de commerce et d’échanges privilégiés, la question d’un droit commun des contrats s’est de plus en plus posée. Des solutions ont été envisagées telles qu’un cadre commun de référence.

L’arrêt du 16 Avril 2013[2] illustre un bon exemple des difficultés qui peuvent survenir lors de la conclusion de contrats entre deux résidents de pays membres de l’Union européenne. En l’espèce, il s’agit du décret flamand du 19 Juillet 1973 qui impose l’obligation pour un employeur ayant son siège d’exploitation dans la région de langue néerlandaise d’utiliser exclusivement le néerlandais dans toutes les relations sociales, écrites ou orales. Cette disposition oblige les employeurs, à peine de nullité, de rédiger en néerlandais tous les documents relatifs a la relation de travail.

Par l’arrêt du 16 Avril 2013, la CJUE vient de se prononcer quant à la régularité de cette législation au regard de la libre circulation des travailleurs. Dans cette décision, la Cour reconnaît que les parties concernées à un contrat de travail à caractère transfrontalier ne maitrisent pas nécessairement la langue officielle de l’Etat membre visé. Ainsi, dans le souci d’un consentement libre et éclairé, la rédaction du contrat de travail dans une autre langue que celle de l’Etat membre est nécessaire.

Ce décret, conformément à la Constitution belge, définit le régime linguistique des provinces flamandes. Notamment, il régit les relations de travail auxquelles sont parties prenantes les sociétés ayant leur siège dans une région belge de langue néerlandaise. Ainsi, l’usage du néerlandais est impératif pour tous les actes et documents établis par les entreprises, y compris les contrats de travail. Le contrat établi en violation de ce décret est frappé de nullité.

En défense, l’employeur soutint que cette exigence de rédaction du contrat de travail international dans la seule langue officielle du lieu de situation de la société employeur constituait une violation de l’article 45 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE) relatif à la liberté de circulation des travailleurs.

Le gouvernement belge défendait le décret de septembre par un triple motifs de protection des travailleurs, d’efficacité des contrôles administratifs et judiciaires et de défense de la langue officielle. Cependant, une telle mesure est disproportionnée dans l’esprit de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme (CESDH).

La CJUE retint l’interprétation de l’employeur, en ce sens que l’exigence d’une version linguistique unique dans la langue officielle de la province de rédaction revenait à ériger une entrave disproportionnée a la liberté de circulation des personnes.

En adoptant cette solution, la CJUE confirme la tendance contemporaine de l’émergence d’un droit linguistique nouveau.

 

B) L’interprétation de l’arrêt Las : la confirmation d’un libéralisme linguistique

La question de savoir en vertu de quoi la loi du lieu d’embauche et d’exécution du travail avait vocation à régir le régime linguistique de la rédaction du contrat n’est pas abordée par la Cour dans sa décision. Cependant, cette question peut trouver une réponse selon trois conceptions.

D’après la première, la langue de rédaction du contrat est une question de fond de l’obligation. Selon cette conception, la loi applicable à la version linguistique du contrat sera en conséquence celle choisie par les parties.

La seconde conception considère que la langue de rédaction du contrat de travail n’est qu’une question de forme. Ainsi le régime juridique du contrat relève alors du rattachement alternatif empreint de favor validatis.

Une troisième conception consiste à qualifier les règles afférantes à la langue de rédaction des contrats de travail internationaux de lois de police. Ainsi, les règles flamandes en la matière seront considérées comme des normes particulièrement impérative, et à ce titre applicables même aux situations internationales relevant par ailleurs d’une loi étrangère.

Cependant, la Cour a jugé que les règles du décret flamand étaient contraires à l’article 45 TFUE pour défaut de proportionnalité à l’objectif recherché. La violation du principe de liberté de circulation découle ici d’un contrôle approfondi de l’effet in concreto de la mesure envisagée.

Ainsi, l’exigence linguistique de rédaction du contrat dans la langue locale constitue en soi un frein à la liberté de circulation. Cependant, il faut bien comprendre que les questions linguistiques sont des questions politiquement sensibles, dans la plupart des Etats membres, et en Belgique tout spécialement.

En l’espèce, le fait de ne pouvoir choisir la langue de rédaction en fonction de la seule compétence ou de la seule commodité des parties a pour conséquence d’imposer une traduction officieuse et d’accroitre les risques d’équivoque ou de malentendus. D’autant plus qu’en l’espèce, aucune des parties n’était néerlandophone, mais bien toutes les deux anglophones.

Pour justifier du décret, le gouvernement belge mettait en avant la situation plurilingue du Royaume belge, et partant, de la nécessaire politique de promotion de la langue officielle. Depuis l’affaire Groener, une telle politique est jugée légitime au sein du marché intérieur par la jurisprudence. Cependant, la cohérence de l’environnement de travail, les relations avec les organisations syndicales, apparaissent comme des motifs admissibles pour réglementer les conditions de travail en la matière.

La CJUE part du postulat qu’il est plus que probable que les parties étrangères ne maitrisent pas parfaitement la langue locale, et que rien ne les oblige à s’y former à un niveau élevé permettant de rédiger des contrats. Ainsi, le juge de l’Union en déduit qu’un Etat ne saurait imposer une version linguistique unique qui impose aux parties l’usage d’une autre langue que celle de leur choix. La Cour considère en effet qu’une solution moins contraignante et toute aussi efficace pourrait être trouvée dans l’admission d’un plurilinguisme dans la rédaction du contrat.

On peut conclure que la solution de la Cour va clairement dans le sens d’un libéralisme linguistique, et d’une circulation des langues au sein de l’UE. En l’espèce, ce que la Cour censure ici n’est donc pas la politique de promotion de la langue officielle en Flandres, mais bien le refus d’admettre à côté et à égalité l’usage d’une autre langue. Et cette solution est tout à fait compréhensible. En effet si l’exigence d’une version obligatoire dans la langue officielle répond parfaitement à un objectif de promotion de langue, l’interdiction de l’usage d’une autre langue dans des situations internationales est injustifiée.

En comparaison, la solution française est donc parfaitement justifiée. Le Code du travail en son article L1221-3 alinéa 3 du Code du travail dispose en effet que lorsque le salarié est étranger, chacune des deux versions du contrat fait également foi. Ainsi, l’un des enseignements de l’arrêt Las est dans l’affirmation implicite de la conformité à l’article 45 TFUE des solutions posées par l’article L 1221-3 alinéa 3 du Code du travail français.

En revanche, l’article L 2231-4 du Code du travail français dispose que les conventions collectives doivent impérativement être rédigées en français. La question de la compatibilité de cette disposition avec l’article 45 TFUE reste donc ouverte…

L’arrêt Las témoigne ainsi de la lente mais certaine émergence d’un véritable droit linguistique européen. Ce droit linguistique européen est fondé principalement sur les possibilités de contestation qu’offrent les garanties des droits fondamentaux. En 1996, la Déclaration universelle des droits linguistiques énonce un objectif de paix linguistique, juste et équitable, lequel doit être poursuivi par des politiques garantissant le respect de la diversité et du plurilinguisme. L’article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et l’article 2 du premier protocole additionnel ajoutent une portée contentieuse possible aux revendications d’ordre linguistique.

En effet, en énonçant un droit à l’enseignement, en son article 2 et un principe de non discrimination en son article 14, les deux textes ouvrent la voie du contentieux linguistique. La marche est en route au niveau européen pour l’européanisation du statut des langues au sein des Etats. L’adoption par le Parlement européen à une majorité écrasante de 85% des députés du Rapport Alfonsi sur les langues menacées et la diversité linguistique au sein de l’UE du 26 Juin 2013 amorce en effet l’élaboration d’une véritable politique de l’UE dans le domaine des langues, ce qui revient a énoncer la compétence de l’UE dans la matière.

La seconde manifestation de ce droit linguistique émergeant réside dans le développement du contentieux. La langue est l’attribut d’une société, d’une communauté et non plus une confiscation de l’Etat. Une langue est par essence un phénomène interpersonnel, ce qui semble être garanti par la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, la Turquie a été condamnée pour ne pas avoir permis a un Chypriote grec vivant dans la partie Nord de l’ile, occupée par l’armée turque depuis 1974 de faire bénéficier ses enfants d’un enseignement en langue grecque et ce pour violation du droit à l’instruction énoncé par l’article 2 du premier protocole additionnel[3].

 

Conclusion :

Sous le système français ou néerlandais, les principes directeurs de consensualisme et de liberté contractuelle influencent l’usage dans le choix de la langue pour les contrats internationaux.

Le choix de l’anglais, bien que grand favori pour les contrats entre professionnels, est cependant un choix risqué notamment lorsque la loi gouvernant le contrat est différente que celle dans laquelle il est écrit.

L’aspect le plus important à retenir étant la confirmation de l’émergence d’un droit linguistique européen, avec une jurisprudence européenne favorable à la liberté de circulation des langues, et un véritable libéralisme linguistique grandissant aux dépends du monopole étatique sur cette question.

Marie-Virginie Arras

 

 

[1] Decret flamand du 19 Juillet 1973

[2] Affaire C-202/11 Arret de la CJUE du 16 Avril 2013

[3] CEDH 10 Mai 2001, Chypre c/ Turquie