Jurisprudence de l’article 8 de la directive 2004/48/CE du parlement européen et du conseil, du 29 Avril 2004, relative au respect des droits de la propriété intellectuelle- les conclusions de l’avocat-général M.P. Cruz Villalon.
L’affaire Coty Germany porte une question intéressante à la Cour Européenne de Justice. Il s’agit d’une banque, qui se prévalant du secret bancaire, refuse de fournir les données nécessaires pour poursuivre par voie civile une personne faisant le commerce de marchandises contrefaites.
La question préjudicielle ainsi posée est la suivante : un tiers, en l’espèce une banque, peut-il se fonder sur le respect du secret bancaire acquis en droit national, pour refuser de fournir dans le cadre de l’article 8 de la directive 2004/48 les informations et coordonnées qui lui sont réclamées par le titulaire du droit de propriété intellectuelle ou la personne habilité a défendre ce droit ?
Ainsi, il est important de noter que l’objectif de la directive 2004/48 est de rapprocher le droit des Etats membres en matière de protection des droits de propriété intellectuelle et de garantir un niveau de protection élevé, équivalent dans tout le marché intérieur.
Dans ses conclusions, l’avocat général M. Cruz Villalon estime que la question est bien de portée de droit européen et non interne. L’article 19 de la loi sur les marques reconnaît expressément la possibilité pour un tiers, auquel l’information est demandée, de refuser de la communiquer, s’il a le droit de ne pas témoigner dans une procédure civile ouverte contre le contrevenant. C’est bien ce qu’a fait la banque Sparkasse dans ce litige. En effet, le droit d’information de l’article 8 n’est pas un droit absolu. Il prévoit la possibilité pour les Etats membres d’établir certaines restrictions à son exercice. La question en jeu a l’arrière-plan de l’application de cet article est celle de savoir s’il convient ou non de communiquer au juge certaines données a caractère personnel relatives a des personnes déterminées. Il s’agit donc de faire un balancement entre les droits fondamentaux en jeu. Ainsi, l’article 5, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux autorise la limitation de l’exercice des droits fondamentaux eu égard a deux finalités alternatives : la limitation doit répondre a un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union ou bien la nécessité de protéger les droits et libertés des autres. Selon l’avocat général Cruz Villaon, le litige se trouve dans la deuxième alternative. De plus, la limitation de la protection juridictionnelle effective et du droit de propriété intellectuelle de la personne titulaire d’une licence de la marque par l’effet du secret bancaire répond fondamentalement au besoin de préserver le droit a la protection des données a caractère personnel des clients qui sont détenues par l’établissement bancaire.
Il s’agit ainsi d’analyser en appliquant l’article 52 paragraphe 1 de la Charte, dans quelle mesure l’intérêt légitime de la banque a préserver le secret bancaire peut valablement limiter le droit a la protection juridictionnelle effective de la personne qui, a l’instar de ce qui s’est produit en l’espèce, entend faire valoir le droit d’information que lui reconnaît l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2004/48 pour défendre devant les juridictions les droits dérivés d’une marque communautaire, et dans quelle mesure le secret bancaire peut également limiter, son droit fondamental a la propriété intellectuelle.
La limitation des droits fondamentaux de Coty Germany n’est nécessaire que si la fin poursuivie, protection par la banque des données de son client, ne peut pas être obtenue par une mesure qui limite ces droits de moindre manière. Enfin, l’analyse de la proportionnalité exige d’examiner jusqu’à quel point les objectifs de protection de certains droits par rapport a d’autres droits fondamentaux compensent suffisamment les sacrifices qu’ils emportent. Le juge national doit tenir compte de la nature de l’ampleur de l’information que demande Coty Germany.
L’avocat général soutient que la directive 2004/48 doit être interprété en ce sens qu’il est contraire à une règle nationale dont l’effet inconditionné est de permettre à un établissement bancaire, excipant du secret bancaire, de refuser de communiquer une information relative au nom et a l’adresse du titulaire d’un compte bancaire qui a été demandé au titre de l’article 8. Il revient au juge national de s’assurer de la légitimité de la limitation des droits fondamentaux affectés par le droit national controversé, dans les termes prévus à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
Marie-Virginie Arras