Depuis 2008, la Convention-cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé (ci-après « OMS ») pour la lutte anti-tabac préconise via ses directives que les États adoptent des emballages neutres afin de faire échec aux campagnes de marketing des industries de tabac. Suivant cette recommandation, l’Australie a été la première à adopter le conditionnement neutre en 2011. Comme on pouvait s’y attendre, de nombreuses critiques se sont élevées dès l’annonce de cette décision qui a cependant a été confirmée par la Haute Cour d’Australie
Des pays producteurs et exportateurs de tabac (Ukraine, Honduras, République Dominicaine, Cuba et Indonésie) ont engagé des actions devant l’Organisation Mondiale du Commerce (ci-après « OMC ») en invoquant la contrariété de la législation australienne avec les Accords sur les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle (ci-après « ADPIC »). L’action est toujours en cours.
La directive de l’Union Européenne (ci-après « UE ») du 3 avril 2014 relative à la fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes incite, dans son préambule, à normaliser les conditionnements des produits du tabac sous réserve du respect des règles européennes et de l’OMC. L’idée d’imposer un tel emballage avait cependant été rejetée lors des négociations.
Certains gouvernements européens comme l’Irlande, l’Angleterre ou la France sont actuellement en négociation afin d’adopter des mesures similaires. Cependant face à l’annonce d’une adoption imminente en Irlande, le Portugal, la Slovaquie et la Bulgarie se sont opposés à cette mesure.
Le conditionnement est le dernier rempart marketing des entreprises fabricantes de cigarettes leur permettant de promouvoir leurs produits et ce depuis les interdictions successives de publicité et l’imposition des bandeaux d’information des dangers du tabac pour la santé.
Les impératifs de santé publique sont fondamentaux et tant les accords ADPIC que le droit de l’UE permettent aux États de prévoir des exceptions limitées aux droits de marques en invoquant cet impératif. Or, en vertu du droit de marques, les entreprises sont habilitées à protéger leurs signes distinctifs ce qui représente une certaine valeur patrimoniale ajoutée.
L’imposition d’un emballage neutre irait au delà d’une simple exception au droit de marque. En effet, le règlement sur les marques communautaires ainsi que les droits nationaux de marques prévoient une obligation d’usage de la marque. Or, l’interdiction d’apposer sur l’emballage la marque aurait pour effet d’empêcher tout usage de celle-ci ce qui conduirait de fait à sa déchéance. Il s’agit ainsi d’une véritable privation de propriété.
Par ailleurs, les fonctions de distinctivité et de garantie d’origine de la marque qui permet de différencier les produits de ceux des concurrents ne sauraient dès lors être assurées convenablement.
Si il convient en effet d’offrir au consommateur une information claire et précise, il n’a pas été clairement établi que l’instauration du paquet neutre conduisait, dans les faits, à une diminution de la consommation du tabac (ainsi que l’ont conclu les gouvernements canadien et hollandais). Une telle mesure serait donc susceptible d’aller à l’encontre de l’article 34 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne qui interdit tout mesure ayant un effet équivalent à une restriction quantitative. Certes la protection de la santé publique est un argument invocable par les autorités nationales en vertu de l’article 36 dudit traité mais la mesure échouerait alors devant le test de proportionnalité et de nécessité.
Enfin, les emballages neutres favoriseraient la contrefaçon en rendant plus simple, moins cher et plus difficile à détecter, la copie des paquets ce qui indéniablement risque d’augmenter le marché parallèle de produits du tabac déjà très présent.
Santé publique v. propriété intellectuelle tout est une question de proportionnalité des mesures adoptées.
Camille Rideau