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L’envol d’ICANN – La fin du contrôle hégémonique américain sur les noms de domaines

icann_logoDepuis la création d’internet, et son développement global dans les années 1990, le world wide web reste (en partie) sous contrôle de la Chambre de Commerce des Etats-Unis.

La société non lucrative de droit californien ICANN[1] (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, ou Société pour l’attribution des noms de domaine et des numéros sur Internet) est chargée d’administrer l’adressage IP des sites et utilisateurs du réseau, ainsi que les noms de domaine de premier niveau (TLDs, top level domains), contrôlée par l’administration nationale américaine des télécommunications et de l’information[2].

Créée en 1998, ICANN s’est longtemps acquittée de sa tâche, accompagnant (et guidant) l’internet à travers les très nombreuses modifications qui ont eu lieu depuis le premier site internet à sa toute puissance aujourd’hui, où la moitié de la population mondiale utilise internet, et ce chiffre ne cesse d’augmenter[3].

Par exemple, le groupe des noms de domaine génériques (gTLDs, generic TLDs), qui était depuis 1984 très réduit[4], a commencé a grandir au début des années 2000[5], et a explosé depuis fin 2013[6]. A partir de cette date, ICANN a commencé à signer des contrats de délégation pour que d’autres entités puissent elles-mêmes gérer leurs noms de domaines. Avant cette modification, une entreprise ne pouvait gérer que la première partie de son nom de domaine, se situant avant le gTLD; désormais elle peut posséder son propre gTLD et être ainsi responsable du processus complet menant au nom de domaine final. Ainsi, Apple pourrait désormais choisir d’avoir pour nom de domaine non plus « apple.com », ou « macbook.apple.com » mais plus simplement « macbook.apple ». Cependant, cette délégation n’est aujourd’hui possible que par le biais d’ICANN, unique autorité compétente, et par le biais d’une procédure demandant l’autorisation de la Chambre du Commerce des Etats-Unis. Pour un réseau mondial, il semble étrange qu’une entité gouvernementale étatique soit en charge.

C’est pourquoi, en 2014, les Etats-Unis ont souhaité rassurer leurs partenaires et les acteurs mondiaux craignant un internet contrôlé par des Etats-Unis parfois trop indiscrets en demandant à ICANN de préparer un plan de transition par lequel ICANN deviendrait une entité privée gérée internationalement, sans contrôle gouvernemental. En cas de problème, ou de réclamation, les états pourront s’adresser à une agence d’ICANN.

Si, en pratique, les changements apportés au fonctionnement d’internet, notamment du point de vue de l’utilisateur final, ne seront pas immenses, on peut tout de même apprécier la tentative faite de défendre internet contre un contrôle par un seul pouvoir étatique en le privatisant[7]. La proposition chinoise et russe d’impliquer les Nations Unies a été rejetée par ICANN[8].

La proposition d’ICANN, présentée par Barack Obama au Congrès américain et accepté par celui-ci le 16 août 2016, malgré l’opposition attendue des Républicains. La privatisation d’internet aura donc lieu le 1er Octobre 2016: le pari est réussi pour Barack Obama, qui aura réussi à faire passer cette loi avant une éventuelle prise de pouvoir républicaine lors des prochaines élections présidentielles, ce qui aurait fortement remis ce projet en question.

Il existe cependant un risque dans ce système qu’il convient d’évoquer ici: en rendant ICANN indépendant, on le protège certes d’influences trop fortes de la part d’un gouvernement ou même d’une des entreprises géantes de l’internet, mais n’accorde-t-on pas ainsi trop de pouvoir à ICANN? Si un mécanisme de plainte a été envisagé, il demeure que sans entité supérieure pour la contrôler, ICANN acquière un tout nouveau pouvoir. Espérons que la société californienne saura prendre les responsabilités que cela entraîne.

Ondine Sinsheimer

 

 

[1] https://www.icann.org/fr

[2]  US National Telecommunications and Information Administration (NTIA), qui fait partie du US Commerce Department

[3] http://www.internetworldstats.com/stats.htm

[4] .com, .edu, .gov., .mil, .net, .org et .int

[5] .aero, .biz, .coop, .info, .museum, .name, .pro, .travel, ou .asia par exemple

[6] https://newgtlds.icann.org/en/program-status/delegated-strings

[7] http://www.reuters.com/article/usa-internet-icann-idUSL1N10E0ZZ20150803

[8] https://www.engadget.com/2015/08/04/icann-us-transition-proposal/