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La langue dans les contracts internationaux (II): la langue de rédaction des contracts

Pieter_Breugel-The_Tower_of_BabelII) Shakespeare vs Molière[i]

Le choix de rédiger un contrat en anglais est souvent dicté par des raisons très pratiques. Les parties, les signataires, les négociateurs en charge de l’exécution du contrat ne sont pas français ou travaillent habituellement en anglais. En effet, les collaborations transnationales que ce soit dans le domaine du droit, des sciences ou de la finance se sont multipliées et sont très largement répandues aujourd’hui.

De plus, pour les plus petites entreprises, ou start-up, celles ci sont à la recherche de capitaux, et d’expansion. Disposer de contrats rédigés en anglais permet aux futurs investisseurs et auditeurs, qui sont souvent anglo-saxons, de prendre connaissance directement du contrat et d’éviter des frais de traduction.

Tous ces arguments qui prônent l’usage de l’anglais dans les contrats internationaux sont tout à fait compréhensibles. De plus, rien n’interdit en France, à deux personnes morales de droit privé, de rédiger leur contrat en anglais. La loi « Toubon »[ii] relative à l’emploi de la langue française n’impose l’usage de la langue française que dans les contrats de travail et les contrats auxquels une personne morale de droit public ou de droit privé exécutant une mission de service public sont parties. En dehors de ces cas spécifiques, le choix de la langue est libre.

Cependant, le choix de l’anglais pour la rédaction de ces contrats internationaux n’est pas sans inconvénient. Le français étant la langue des services publics, tout contrat qui doit faire l’objet d’un enregistrement fiscal ou auprès du Registre National des Brevets doit être rédigé ou traduit en français. De plus, comme il a été rappelé par la Cour de cassation dans son arrêt cité plus haut, en cas de litige porté devant les tribunaux français, il faudra alors produire une traduction complète du contrat certifié par un traducteur assermenté.

De plus, les difficultés d’interprétation susmentionnées sont alors délicates. En effet, rédiger en anglais conduit a utiliser un style d’écriture et des termes de droit anglo-saxon qui ne trouvent pas forcément leur équivalent en droit français. Pour en citer quelques uns, les termes «damages », « punitive damages », « compensation », « indemnity » correspondent à des réalités anglo-saxonnes qui recoupent imparfaitement celles du droit civil français. L’arrêt du 27 Novembre 2012 par la Cour de cassation en est un parfait exemple.

Ainsi, les termes juridiques anglo-saxons n’ont souvent pas d’exacte contrepartie en droit français car ils s’inscrivent dans un ordre juridique et une organisation judiciaire très éloignés du système juridique français. D’un point de vue processuel, certaines solutions juridiques existent en Common Law et aux Etats Unis, alors qu’elles ne peuvent être admises par les tribunaux français. Ainsi, reprendre à l’identique des clauses figurant dans les contrats rédigés en anglais mais régis par le droit français peut conduire à mettre en place des solutions qui ne seront pas validées par l’ordre judiciaire français.

Pour conclure sur le choix entre la langue de Shakespeare et celle de Molière dans les contrats internationaux gouvernés par la loi française, même si pour des réalités économiques indéniables l’anglais semble primer, il ne faut cependant pas négliger les importants inconvénients de traduction, d’incompréhension et de risques de malentendus entre les co-contractants.

 

III) Les usages dans le choix de la langue dans les contrats internationaux sous le système juridique néerlandais

Apres avoir analysé les principes directeurs dans le choix de la langue des contrats sous l’empire du droit néerlandais, la question spécifique de l’interprétation sera étudiée.

A) Le principe

En droit néerlandais, il n’existe pas de règlements en ce qui concerne l’usage obligatoire de la langue néerlandaise dans les contrats, internationaux ou pas. Le principe dans la loi néerlandaise est la liberté des contrats. Toutes les parties sont libres de convenir de tout ce qu’elles veulent, sauf si la loi en dispose autrement. La vente d’une maison, par exemple, doit être réglée par écrit, et pour le transfert d’un bien il faut, entre autres, qu’une livraison soit effectuée par notaire pour que le transfert de propriété soit valable. Quand toutes les parties souhaitent contracter en anglais, ou en français, cela doit donc être possible. Cependant, il existe quelques situations en droit néerlandais qui méritent une attention toute particulière.

Un premier point porte sur les conditions générales. Il n’existe pas la même grande liberté des contrats qu’il existe en général. L’article 6:238 alinéa 2 du Code civil néerlandais (BW) dispose ainsi que les clauses doivent être claires et compréhensibles, ceci sous peine de nullité (art. 3:40 jo. 6:246 jo. 6:238 BW). La logique à la base de ce principe est qu’une personne ne peut être tenue si elle ne comprend pas a quoi elle s’est engagée.

Il existe également une règle spécifique par rapport aux conventions collectives. Les conventions collectives doivent être rédigées dans la langue du pays dans lequel l’entreprise a son siège. Si ce siège est situé en Allemagne, la convention doit être rédigée en allemand, s’il est situé aux Pays-Bas, le néerlandais primera.

En ce qui concerne les autres contrats, il y a beaucoup plus de possibilités et de libertés. Pourvu qu’il y ait concordance des volontés, les parties sont libres de déterminer la langue du contrat.

B) L’interprétation

Un arrêt rendu par la Hoge Raad (Cour Suprême des Pays-Bas) donne un indice dans l’interprétation des contrats[iii]. La Cour a statué que par rapport à l’interprétation d’un contrat le juge doit, à coté de la lettre, “tenir compte de l’intention des parties et ce qu’il pourrait raisonnablement s’attendre les unes des autres”.

En droit néerlandais, l’intention des parties prévaut sur la lettre du contrat. Ainsi, dans les situations de contrat international, avec un contrat dans une autre langue que le néerlandais, le texte sera expliqué en tenant compte de l’intention des parties. La façon dont les clauses sont stipulées dans le contrat est alors d’une grande importance.

Le principe du précèdent arrêt, Haviltex, est utilisé pour tous les genres de contrats (entre professionnelles, et entre professionnelles et consommateurs, etc…). La Cour Suprême des Pays-Bas a statué que pour les contrats commerciaux, le juge est libre d’apprécier les explications données par les parties sur leurs intentions. Il est aussi libre d’expliquer une disposition dans son interprétation la plus manifeste, sauf preuve contraire d’une partie qui a un intérêt légitime à une autre explication[iv].

Marie-Virginie Arras

 

La semaine prochaine, l’important Arrêt Las de la Cour de Justice de l’Union Européenne rendu le 16 Avril 2013 sera étudié avec pour conséquence l’émergence d’un droit linguistique européen.

[i] Cabinet Regimbeau, “la langue de redaction des contrats: Shakespeare vs Moliere”, par Isabelle Pinaud

[ii] Loi Toubon du 4 Aout 1994 relative a l’emploio de la langue francaise numéro 94 665

[iii] HR 13 Mars 1981, NJ 1981, 635 (Ermes/Haviltex).

[iv] HR 19 Janvier 2007, ECLI:NL:HR:2007: AZ3178, NJ 2007/575 (Meyer Europe/PontMeyer)