Introduction :
Il est souvent pris pour acquis dans de nombreux pays que le choix d’une langue officielle relève uniquement de la prérogative de l’Etat, ce que la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité des droits de l’homme de l’ONU semblent avoir tous deux confirmé à quelques reprises. Il demeure néanmoins un point de litige fondamental : que se passe-t-il lorsque les textes de loi portant sur le choix d’une ou quelques langues officielles excluent, ou même dans certains cas extrêmes criminalisent, l’utilisation d’une autre langue?
Si le choix d’une langue officielle relève bel et bien de la prérogative de l’Etat, cela ne permet pas pour autant à un gouvernement de faire fi du droit international et en particulier des Droits de l’Homme.
Ainsi, la mise en œuvre d’un droit fondamental comme la liberté d’expression ou l’interdiction de la discrimination fondée sur la langue aurait indirectement pour effet de créer un droit linguistique, ce droit primerait sur la disposition nationale en matière de langue officielle. Un tel résultat est en train de s’établir au niveau de la jurisprudence internationale et européenne[i].
Depuis l’internationalisation du commerce au XXème siècle, les contrats ayant pour parties deux personnes parlant une langue différente se sont multipliés. Si l’anglais apparaît comme l’usage le plus répandu pour le choix de la langue des contrats internationaux, notamment dans le milieu des affaires « B to B » et « B to C », il est de plus en plus fréquent que la langue du contrat soit l’une qu’une seule des parties comprent. Surgissent alors des difficultés d’interprétation, d’expression de la volonté des parties et de compréhension.
Cet article se concentrera tout d’abord sur les usages dans le système français, en comparaison au système néerlandais pour ensuite aborder la question de l’émergence d’un droit linguistique européen.
I) Le choix de la langue dans les contrats internationaux sous le système juridique français
Après avoir étudié les principes directeurs en droit des contrats, les usages dans le choix de la langue des contrats sous l’empire du droit du travail seront analysés pour ensuite aborder la question de la primauté du choix de l’anglais dans la langue de rédaction des contrats, Shakespeare contre Molière.
A) Les principes directeurs en droit des contrats
En France, le droit des contrats est gouverné par le principe du consensualisme. Un contrat n’est formé valablement que s’il y a rencontre des volontés des parties, expression de leur consentement respectif. Ainsi, l’emploi d’une langue étrangère pourrait constituer une manœuvre dolosive en évinçant le consentement d’une des parties susceptible d’aboutir à l’annulation du contrat.
Le choix de la langue dans les contrats internationaux relève de la protection et de la sécurité juridique. Dans les contrats internationaux, chacun souhaite imposer sa langue pour éviter des frais de traduction notamment lors de la production du contrat en justice. Cependant, il peut arriver que les deux parties ne maitrisent souvent pas les deux langues des parties au contrat.
C’est pourquoi, le droit français exige dans certains cas aux contractants de rédiger leur contrat en langue française. L’arrêt rendu le 27 Novembre 2012[ii] en est un vif exemple. La Cour de cassation dans un attendu de principe a déclaré: « Mais attendu que si l’ordonnance de Villers-Cotterêts d’Aout 1539 ne vise que les actes de procédures, le juge, sans violer l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est fondé, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a écarter comme élément de preuve un document écrit en langues étrangères, faute de production d’une traduction en langue française ».
De plus, un deuxième grand principe gouverne le droit des contrats en France. Du consensualisme découle le principe de la liberté contractuelle. Ainsi, dans la plupart des situations, la langue des contrats n’est pas entravée par des impératifs législatifs ou réglementaires. Les parties sont alors libres de choisir la langue du contrat. Le premier risque dans le choix de la langue du contrat est le risque de l’interprétation. Il faut en effet passer par une traduction pour interpréter la volonté des parties. La situation se complique lorsque les parties ont eu recours à une loi applicable au contrat différente de la langue dans laquelle le contrat est écrit.
B) La spécificité du droit du travail
Sous l’égide du Code du travail, l’article L.1221-3 pose le principe selon lequel le contrat de travail doit être établi par écrit et rédigé en français.
Cependant, la question du choix de la langue pour la rédaction des documents de travail des salariés trouve une place particulière dans les entreprises à envergure européenne ou internationale.
Doit-on rédiger les documents uniquement en français dés lors que le salarié est français et travaille en France ? Peut-on lui soumettre des documents nécessaires à l’exécution de son travail mais rédigés dans une autre langue dés lors qu’il la maitrise parfaitement ?
Dans un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 29 Juin 2011, il a été jugé que les documents fixant les objectifs de la rémunération variable d’un salarié rédigés en anglais lui étaient inopposables[iii].
Cependant dans un arrêt du 12 Juin 2012, la Chambre sociale de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur l’utilisation de manuels de navigation par des pilotes d’avions, lesdits documents étaient rédigés en anglais. Les compagnies aériennes doivent-elles traduire ces manuels pour les pilotes français ? Statuant sur cette question, les juges de la chambre sociale de la Cour de cassation ont décidé que les manuels de pilotage rédigés en anglais, langue commune aux pilotes, n’avaient pas à être traduits en français puisque cette langue est nécessaire dans l’exercice de cette profession. Les juges de la chambre sociale ont ainsi créés une importante exception jurisprudentielle.
Ainsi, en France, les principes de consensualisme et de liberté contractuelle nécessitent un balancement entre les intérêts privés des parties et l’intérêt public. Dans la plupart des contrats internationaux, la primauté de l’anglais est bien établie. Cet usage dans le choix de la langue dans les contrats internationaux nécessite d’être analysé.
Marie-Virginie Arras
La semaine prochaine, le système néerlandais pour les usages dans les choix des langues dans les contrats internationaux sera étudié.
[i]“Langues officielles versus droits linguistiques: l’un exclut-il l’autre? » Voir http://droitcultures.revues.org/2880
[ii] Arret Chambre Sociale du 12 Novembre 2012 numéro 09-67492
[iii] Idem