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L’arret Sintax Trading: une jurisprudence extensive consacrant la compétence de l’administration en matière de saisie en douanes sur le fondement de l’intérêt public

La Cour de Justice de l’Union Européenne a rendu ce 9 avril 2014 un arrêt particulièrement important en matière de saisie à la douane des marchandises de contrefaçon, adoptant un raisonnement relativement extensif du règlement 1383/2003, mais non surprenant au regard de sa jurisprudence, consacrant la compétence de l’administration en matière de constatation de la violation d’un droit de propriété intellectuelle.

Un retour sur les faits de l’affaire semble être de prime abord essentiel. La société Sintax Trading a importé en Estonie des bouteilles de bain de bouche, expédiées par une société ukrainienne. Il y avait cependant un doute au moment de l’exportation sur cette marchandise, la société Acerra ayant émis des soupçons de contrefaçon vis-à-vis de ses propres produits. L’administration estonienne des douanes a alors procédé à une saisie de la marchandise concernée, obtenant après avis auprès d’Acerra la confirmation de la contrefaçon. Cette dernière n’a néanmoins pas engagé de procédure, telle que prévue par le règlement 1383/2003 sous son article 13§1, « visant à déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national ». Toutefois, la non-initiative de la partie lésée n’a pas empêché l’administration estonienne d’engager, de son propre fait, une telle procédure.

La société Sintax Trading a donc demandé la relève d’une décision préjudicielle auprès de la Cour de Luxembourg concernant l’interprétation du règlement 1383/2003 relative à la légitimité de l’intervention et le refus d’accorder une mainlevée par les autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, alors que le titulaire de ces mêmes droits n’avait pas engagé la procédure visant à déterminer l’existence réelle d’une violation.

La disposition en question, et dont l’interprétation était contestée par Sintax Trading en l’espèce, est l’article 13 du règlement susmentionné. Cet article précise en effet que « si, dans un délai de 10 jours ouvrables à compter de la réception de la notification de la suspension de la mainlevée, le bureau de douane (…) n’a pas été informé qu’une procédure visant à déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national a été engagée (…) ou n’a pas reçu l’accord du titulaire du droit, le cas échéant, la mainlevée est octroyée, ou, selon le cas, la mesure de retenue est levée ». La société Sintax Trading considérait donc qu’en l’absence d’initiative de la société Acerra, titulaire du droit lésé, l’administration devait autoriser la mainlevée et restituer les marchandises concernées; mais ne pouvant en aucun cas se substituer à Acerra dans la procédure visant à déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national.

Les juges de la Cour de Luxembourg ont ainsi du se poser la question de savoir si la protection des consommateurs, considérée comme un objectif du règlement susmentionné sous son considérant 2, était un motif légitime permettant la mise en place d’une procédure appropriée par les autorités douanières en matière de marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans pour autant porter une atteinte démesurée à la liberté de commerce, autre objectif de ce règlement. Les juges ont ainsi du mettre en balance et perspective deux principes fondamentaux de l’Union européenne qui sont la protection des consommateurs (santé et sécurité publiques) et la liberté de commerce (en étroite liaison avec les libertés économiques garanties par les Traités) dans l’examen de la nécessité et justification d’une telle procédure.

La Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a ainsi considéré l’article 13§1 du règlement 1383/2003 pouvait être interprété en ce sens « qu’il ne s’oppose pas à ce que les autorités douanières, sans initiative du titulaire du droit de propriété intellectuelle, engagent elles-mêmes et mettent en oeuvre la procédure visée par cette disposition » (§30). La justification d’une telle action se trouve dans l’objet même du règlement, qui ne vise pas « seulement la protection de droits et intérêts privés, mais également celle d’intérêts publics (§43). En effet, le règlement vise en particulier à empêcher la mise sur le marché de marchandises frauduleuses, portant d’une part atteinte à des droits de propriété intellectuelle; et trompeuses, faisant d’autre part courir aux consommateurs des risques pour leur santé et sécurité. Pour ces raisons, « d’autres personnes que les titulaires de ces droits peuvent se prévaloir, pour limiter ces risques, d’un intérêt à faire constater la violation de tels droits » (§42).

La Cour se penche sur et valide en outre la possibilité des autorités douanières à se prononcer au fond et donc mener en interne l’évaluation et détermination d’une violation d’un droit de propriété intellectuelle au regard du droit national (§47-49). Le juge fixe cependant certaines limites à cette compétence. En effet, la Cour applique et requiert le respect des principes d’équivalence et proportionnalité (Greek Maize criteria, arrêt Pohl). Ainsi, les Etats membres doivent veiller à ce que l’exercice par les autorités douanières de cette dite compétence « ne soit pas moins favorables que celles régissant des situations similaires soumises au droit interne » (équivalence) et « ne rendent pas impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’Union » (proportionnalité). De plus, les Etats membres doivent donner aux parties la possibilité d’un recours face aux décisions administratives finales, assurant la sauvegarde de ces droits (§51).

Cet arrêt est ainsi central dans la détermination de la procédure à suivre en matière de saisies à la douane et les possibilités accordées à l’administration en matière de sauvegarde des droits (IPR) et de l’intérêt public; parfois au détriment de la liberté de commerce des entreprises et, on peut se poser la question, de la sécurité juridique de ces dernières.

Solène Hamon