En discussion au Parlement des Pays-Bas depuis 2012, soit près de 3 ans, la nouvelle législation relative aux droits d’auteurs a finalement été adoptée à travers le vote de la loi dite « du 30 juin 2015 ». L’occasion de revenir à travers plusieurs articles sur divers points et apports de cette loi.
Parmi les dispositions remarquées, l’article 25fa de la « wet auteurscontractenrecht » (loi des contrats de droits d’auteur) dispose que l’auteur d’un article scientifique, fruit d’une recherche subventionnée en tout ou pour partie par des fonds publics (néerlandais), peut le mettre à disposition du public sans contrepartie après une période de temps « raisonnable » postérieure à sa première publication. La source de la première publication du travail en question doit toujours être mentionnée.
L’adoption d’un tel article par les parlementaires néerlandais s’inscrit dans un mouvement idéologique émergent depuis une vingtaine d’années, visant à diffuser le savoir et la connaissance, considérés comme biens communs, au plus grand nombre. L’apparition d’un tel mouvement va de pair avec l’émergence de l’internet grand public permettant à chacun, pour un cout minime, l’accès à grand nombre de documents numérisés ou électroniques.
Le circuit de la publication scientifique se décompose entre chercheurs, à la fois lecteurs et auteurs, éditeurs, qui assurent un rôle dans l’organisation des connaissances diffusées et bibliothèques, entendues au sens large, qui mettent à disposition des chercheurs les périodiques scientifiques auxquels elles s’abonnent.
De nombreuses voix, issues tant des milieux scientifiques que politiques, réclamaient un assouplissement de l’accès aux ressources scientifiques, qui plus est, lorsque ces dernières étaient le fruit d’un travail subventionné par des fonds publics.
D’abord, les auteurs/chercheurs qui, écrivant pour être lus et cités, pourraient voir l’impact de leur article potentiellement démultiplié si l’accès à cet article était facilité. Diverses études ont d’ailleurs montré que la mise à disposition des articles en accès libre (Open Access) augmente le nombre de citations.
Les bibliothécaires ensuite, confrontés au paradoxe de la multiplication des publications (multiplication favorisée notamment par la dématérialisation) et de la diminution des accès du fait du prix des abonnements.
Enfin, au niveau politique, il paraît de plus en plus illégitime qu’un travail financé par des fonds publics ne soit pas accessible au public.
D’autres arguments sont avancés par les soutiens du libre accès : les amateurs éclairés et patients porteurs de maladies rares, avec une forte implication dans la recherche liée à leur maladie, seraient mieux informés ; les chercheurs issus de pays en voie de développement, n’ayant pas forcément les moyens de leurs collègues occidentaux pourraient aussi participer à des travaux de recherche impliquant des enjeux globaux…
Face au mouvement de l’Open Access, plusieurs bémols ont été apportés, notamment par les éditeurs.
Ces derniers assurent, dans une certaine mesure le contrôle de la qualité des publications, leur archivage ainsi que leur indexation. Par ailleurs, la publication d’un article dans les revues de qualités, reconnues, est une garantie de notoriété pour les chercheurs. La question qui se pose est de savoir si la valeur ajoutée apportée par les revues justifie leurs prix.
Forcer les éditeurs à adopter un nouveau modèle économique ne risque-t-il pas de déstabiliser le secteur, voire de conduire certains éditeurs à refuser des publications en fonction de leur source de financement ? De plus, s’il est courant dans certains domaines de mettre rapidement en libre accès certaines archives, tel n’est pas le cas pour tous les domaines ; l’uniformisation à marche forcée est-elle une solution ?
Divers éditeurs, comme Jean-Marc Quilbé, patron de l’éditeur scientifique français EDP Science[1], avancent que si le circuit financier actuel est imparfait, il a le mérite de fonctionner.
L’adoption d’un tel article par les Pays-Bas n’est pas inédit en Europe. Le programme de financement de la recherche et de l’innovation de l’Union Européenne pour la période 2014-2020 (« Horizon 2020 »), doté de près de 80 milliards d’euros, prévoit que tous les bénéficiaires doivent assurer un accès gratuit en ligne des publications scientifiques soutenues par le programme.
Diverses initiatives similaires émergent en Europe et dans le monde, que ce soit au niveau gouvernemental ou privé.
Il reste désormais à s’intéresser au bilan de telle mesures ; seul le futur permettra de déterminer de leur impact globalement positif ou non.
Alexis Dana et Brigitte Spiegeler
[1] Les éditeurs scientifiques « for profit » accélèrent leur conversion à l’Open Access Gold : quelles visées stratégiques sous-jacentes ?, DISTInfo8, CNRS, Février 2015.