A l’occasion des modifications de régime de la marque de l’Union européenne, il est temps de faire le point sur les marques tridimensionnelles.
Pour cela, il est intéressant de se replonger dans l’histoire d’une des marques tridimensionnelles les plus connues : la bouteille Coca-Cola.
Le 29 décembre 2011, le géant américain a déposé la demande de marque suivante.
Après avoir fait face à plusieurs rejets de sa demande à différents stades de la procédure, la requérante a porté sa demande devant le Tribunal de l’Union européenne, dont l’arrêt rendu le 24 février dernier, rejetant la demande de Coca-cola, est intéressant à plusieurs égards.
Comme le rappelle à juste titre le Tribunal, le caractère distinctif doit être apprécié notamment par rapport à la perception qu’en a le public pertinent qui est constitué par le consommateur de ces produits ou services. Les critères d’appréciation d’une marque tridimensionnelle ne diffèrent par ailleurs pas de ceux d’une marque dite traditionnelle. Cependant il est constant qu’il peut s’avérer difficile pour le consommateur pertinent d’appréhender le caractère distinctif d’une marque 3D car il n’a pas (pour l’instant) pour habitude de présumer l’origine d’un produit en se basant sur sa forme.
Cette décision du Tribunal s’intègre dans une jurisprudence déjà bien classique.
En effet, une marque tridimensionnelle protège la forme du produit en elle-même, son conditionnement. Cet instrument de protection, dit non-traditionnel, est fort apprécié en ce qu’il permet de pallier à la protection, limitée dans le temps, des dessins et modèles.
Peut-être est-ce ce détournement de la finalité des protections accordées par les différents droits de propriété intellectuelle qui a conduit les juges européens à juger de façon très sévère le caractère distinctif de la marque tridimensionnelle.
Ainsi, une marque tridimensionnelle doit, de manière significative, diverger de la norme ou des habitudes du secteur. En effet, une marque dont la forme est essentiellement dictée par celle du produit ne peut être distinctive.
Cette interprétation crée deux éléments à prendre en compte pour les créateurs de marques tridimensionnelles : tout d’abord, la catégorie du produit commercialisé, mais également le fait que la marque ne doit pas en elle même donner une valeur substantielle au produit.
Dans un premier temps, du point de vue de l’attention que le public porte au choix du produit.
En effet, la norme ou habitude du secteur s’apprécie par rapport à la perception du public concerné. De façon classique, plus le produit concerné est un produit de consommation courante plus le produit doit diverger des normes du secteur, le consommateur pertinent ayant un niveau d’attention moindre.
Ainsi des variations minimales de la forme usuelle du produit ne permettent pas au consommateur d’identifier cette forme comme indication d’origine. C’est par ailleurs ce qui a été jugé dans cette affaire Coca-Cola. Plus généralement c’est la position classique des juges européens qui peinent à reconnaître à des formes de produits de consommation courante la qualité de marque 3D (on se souvient plus particulièrement du bonbon caramélisé, de la tablette de vaisselle ou encore de la barre chocolatée).
Ainsi, la position récente du TUE ne nous étonnera pas et ce d’autant plus que le marché des boissons a fait l’objet d’une analyse extensive dans diverses affaires, les juges ayant pu estimer à de nombreuses reprises que la forme d’une bouteille constitue en réalité un « impératif de commercialisation »[1].
Cette décision nous renseigne cependant sur les normes du secteur des boissons. En effet, on peut constater que le niveau d’attention du consommateur y est présumé moyen, mais également que :
- La partie basse dont les formes peuvent être variées ne permet pas, en général, au consommateur moyen de déduire l’origine commerciale des produits concernés.
- La partie centrale ne comporte pas de particularités étant une partie destinée en général à recevoir les étiquettes.
- La partie supérieure d’une bouteille est généralement en forme d’entonnoir et comporte un goulot.
La bouteille de Coca-Cola proposée ne diverge pas significativement des normes habituelles du secteur, c’est pourquoi elle a été rejetée.
Pour les produits qui peuvent être qualifiés de produits de luxe, les juges européens adoptent un regard plus compréhensif, sans doute parce que le public pertinent est nécessairement plus restreint.
Le deuxième élément concerne le risque de voir la marque écartée car il serait constitué exclusivement par la forme ou par une autre caractéristique donnant une valeur substantielle au produit.
En effet, la frontière est bien mince entre l’exigence de diverger de façon significative des normes du secteur et le risque de voir son signe rejeté en raison de sa trop grande valeur substantielle.
C’est un exercice de précision auquel les juges doivent se prêter. Ainsi, par exemple, il est à craindre que la forme revendiquée puisse être considérée comme étant utilisées à des fins esthétiques. Dans une telle hypothèse, le public pertinent « percevra immédiatement et sans réflexion particulière [la forme tridimensionnelle] comme une représentation d’un détail particulièrement intéressant ou attrayant du produit en question, plutôt que comme une indication de son origine commerciale »[2].
Rappelons cependant que l’exigence d’un caractère distinctif ne saurait être confondu avec l’originalité, critère qui donnerait pour sa part naissance à une confusion entre droit d’auteur et droit de marques.
C’est une ligne bien mince ici que les sociétés doivent prendre soin de ne pas franchir.
Camille Rideau
[1] Almdudler-Limonade A&S Klein c/ OHMI, aff. T-12/04, pt 34 ou affaire coca-cola
[2] TUE, 19 septembre 2012, T-26/2011, V. Fraas GmbH c. OHMI