De la compétence territoriale des juges français en matière de droit de la consommation
L’origine du monde – c’est le titre du tableau de Gustave Courbet qu’un professeur d’histoire, amateur d’art, avait posté sur son mur Facebook. Jugeant ce tableau choquant, le réseau social décida de fermer le compte de cet utilisateur. Celui-ci assigna donc la société Facebook France considérant que cette décision était attentatoire à sa liberté d’expression. Par le jeu d’interventions forcées les sociétés Facebook UK Ltd et Facebook Inc sont également intervenues devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.
Or la société Facebook Inc. demande dans ses conclusions de “Déclarer le TGI de Paris incompétent pour statuer sur le présent litige au profit des juridictions de l’Etat de Californie et renvoyer Monsieur X. à mieux se pourvoir”.
En effet, les conditions générales de Facebook, acceptées par tout créateur de compte, stipulent que toutes les actions à l’encontre de Facebook doivent être portées devant une des deux juridictions exclusivement compétentes à savoir le Tribunal du district nord de Californie ou le Tribunal de San Mateo County.
Dans son ordonnance en date du 5 mars 2015[1], le juge parisien a affirmé tout d’abord que le contrat reliant l’utilisateur à Facebook doit se voir qualifier de contrat d’adhésion relevant du droit de la consommation du fait des bénéfices qu’en retire le réseau social et de l’absence de lien avec l’activité professionnel de Mr X.
Cette ordonnance est l’occasion de faire ici un bref rappel sur la légalité des clauses dérogeant à la compétence territoriale des tribunaux dans le cadre d’un contrat de consommation.
- Un principe
La juridiction territorialement compétente en droit français est celle du lieu ou demeure le défendeur (sauf disposition contraire comme la possibilité de choisir également en matière contractuelle le lieu de la livraison effective ou de l’exécution de la prestation de service et en matière délictuelle le lieu du fait dommageable).
- Une exception limitée
En vertu de l’article 48 du Code de procédure civile les clauses qui dérogent directement ou indirectement aux règles de compétence territoriale ne sont valables qu’entre personnes ayant contractées en qualité de commerçant. Cependant cet article ne vise que les règles de compétence interne (au sein du territoire français) et n’est pas, comme le rappelle l’ordonnance ici commentée, applicable dans les litiges internationaux.
- Des encadrements
En matière de droit de la consommation plusieurs règles limitent la validité des clauses attributives de compétence du fait du principe de protection de la partie faible.
Le droit de l’Union européenne protège les consommateurs. Ainsi le règlement de l’Union européenne n°1215/2012 (remplaçant le règlement n°44/2001 dit Bruxelles 1 sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale) interdit dans son article 19 de déroger aux règles de compétence en matière de droit de la consommation par le biais de clause antérieure à tout litige.
En droit français deux mécanismes permettent de protéger les consommateurs:
– Les règles de compétence territoriales dites impératives comme par exemple la prohibition des clauses attributives de compétence en matière de démarchage à domicile.
– L’article L.132-1 du Code de la consommation qui interdit les clauses abusives et qui est d’ordre public et plus précisément l’article R-132-2 du même code qui présume abusives les clauses ayant pour objet ou pour effet « de supprimer ou d’entraver l’exercice d’actions en justice ou des voies de recours par le consommateur”.
La clause litigieuse étant incluse dans un contrat d’adhésion et rendant plus complexe pour un utilisateur français d’exercer une action en justice à l’encontre de Facebook est donc sans grande surprise écartée du fait de son caractère abusif[2].
- Détermination de la compétence en cas de litige international
Le juge analyse donc sa compétence au regard des articles 4 du Règlement n°44/2001 du 22 décembre 2000 renvoyant la décision de la compétence à l’application de la loi de l’État membre saisi quand le défendeur est domicilié dans un État tiers.
Or l’article L.141-5 du Code de la consommation prévoit quant à lui que « le consommateur peut saisir à son choix, outre l’une des juridictions territorialement compétentes en vertu du code de procédure civile, la juridiction du lieu où il demeurait au moment de la conclusion du contrat ou de la survenance du fait dommageable ».
Au regard de ces dispositions, le Tribunal de Grande Instance de Paris se déclare compétent pour statuer sur le litige introduit par Monsieur Frédéric X. à l’encontre de la société Facebook Inc, sans qu’il ne soit nécessaire d’entrer plus avant dans l’argumentation des parties.
L’origine du monde – c’est donc également la fin pour la société Facebook Inc. de la possibilité d’invoquer l’incompétence des juges européens dans ses litiges avec les utilisateurs.
Camille Rideau
[1] TGI de Paris, 4e chambre – 2e section, ordonnance du juge de la mise en état du 5 mars 2015, Frédéric X c. Facebook In.c
[2] Cette décision va dans le sens de l’arrêt de la Cour d’appel de Pau de mars 2012 ayant écarté l’application de cette clause estimant que l’internaute ne s’était pas engagé en pleine connaissance de cause.