Ce 19 juin dernier, la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après « CJUE ») a rendu un arrêt (CJUE, Affaires jointes C-217/13 et C-218-13, Oberbank AG, Banco Santander SA, Santander Consumer Bank AG contre Deutscher Sparkasser- und Giroverband eV, 19 juin 2014) en réponse à une question préjudicielle introduite par le Bundespatentgericht, en Allemagne, concernant le caractère distinctif acquis par une marque consistant en une simple couleur par l’usage.
En l’espèce, il s’agissait de la société DSGV, qui a déposé en 2002 une demande d’enregistrement d’une marque de couleur rouge HKS 13 sans contours pour une série de produits et de services. L’Office allemand des brevets et des marques a rejeté cette requête en 2003; revenant toutefois sur sa décision en 2007 au motif que la marque en cause s’étant implantée dans les milieux intéressés. A partir de cette date, ladite marque étant donc bien enregistrée pour des services financiers de banque de détail (classe 36). Or, en 2008 la société Oberbank a entamé une action en nullité de la marque de DSGV, invoquant le fait que la marque était intrinsèquement dépourvue de caractère distinctif. Ce à quoi l’office allemand des brevets et des marques a répondu, bien qu’admettant l’argument d’Oberbank, que la marque de DSGV avait cependant obtenu un caractère distinctif par l’usage, se référant à un sondage d’opinion réalisé en 2006. Les sociétés Banco Santander et Santander Consumer Bank ont néanmoins formulé en 2009 des demandes de nullité de la marque basées sur des arguments similaires à ceux d’Oberbank, que l’office allemand a toutefois rejeté.
Le Bundespatentgericht, saisi de l’affaire, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la CJUE diverses questions préjudicielles relatives à la question de savoir de quelle manière s’apprécie l’acquisition du caractère distinctif d’une marque de couleur. La Cour a apporté une réponse qui pourrait être détaillée et examinée sous différents points.
De prime abord, il s’agissait de déterminer le degré de reconnaissance par le public qui peut participer à la reconnaissance d’un caractère distinctif à la marque de couleur. L’office allemand des brevets et des marques soutenait en effet qu’un sondage d’opinion donnant pour résultat un degré de reconnaissance de la marque d’au moins 70% était nécessaire pour reconnaitre l’acquisition par cette dernière d’un caractère distinctif. La Cour de Luxembourg conteste cependant la jurisprudence allemande et affirme que « les circonstances dans lesquelles la condition relative à l’acquisition d’un caractère distinctif par l’usage […] peut être regardée comme satisfaite ne sauraient être établies seulement sur la base de données générales et abstraites, telles que des pourcentages déterminés » (Paragraphe 44, CJUE, Affaires jointes C-217/13 et C-218-13, Oberbank AG, Banco Santander SA, Santander Consumer Bank AG contre Deutscher Sparkasser- und Giroverband eV, 19 juin 2014) . Ainsi, seule l’appréciation globale des éléments peut être utile dans cette démonstration, le sondage n’étant qu’un élément parmi d’autres, et non obligatoire.
En outre, il était question de savoir quand, avant ou après la date de dépôt de la demande d’enregistrement, le caractère distinctif devait être démontré. Il convient ainsi selon la Cour, se référant à la Directive 2008/95 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques, « afin d’apprécier si cette marque a acquis un caractère distinctif par l’usage, d’examiner si un tel caractère a été acquis avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement de cette marque » (Paragraphe 61, CJUE) . Une certaine marge d’appréciation est cependant laissée aux Etats membres qui peuvent, s’ils le considèrent important, modifier ce point de départ.
Enfin, le Bundespatentgericht s’interrogeait quant à la charge de la preuve dans une procédure de nullité. La Cour constate que la charge de la preuve du caractère distinctif doit incomber au titulaire de la marque, qui invoque ce caractère distinctif, car ce dernier est le plus à même de fournir les documents et preuves nécessaires pour ce faire. Si ce dernier ne parvient toutefois pas à fournir une démonstration suffisante, la nullité de la marque est la seule issue dans une telle procédure.
Outre ces différentes précisions, la Cour de Justice de l’Union Européenne confirme bien la possibilité de faire enregistrer une marque qui ne correspond qu’à « une couleur sans contours ». Or, cet état de fait a déjà dans le passé posé question et continue de le faire. Si nous ne devions prendre qu’un exemple, ce serait celui de la couleur magenta de Deutsche Telekom. En 2008, Deutsche Telekom demande en effet à Brutele et Tecteo de cesser d’utiliser la couleur magenta dans leur logo et produits publicitaires, s’appuyant pour ce faire sur l’enregistrement de la marque de couleur telemagenta au Benelux comme son logo. De nombreux graphistes et artistes s’étaient alors insurgés de cette main mise d’une entreprise sur une couleur primaire indispensable à leur métier. En février 2014, les juges du Tribunal de Commerce de Bruxelles ont toutefois finalement décidé que la couleur telemagenta n’était pas une invention de Deutsche Telekom et que son simple usage ne pouvait être considéré comme un signe distinctif. Les enregistrements de la marque de couleur ont ainsi été annulés et Deutsche Telekom condamnée aux dépens. Ces deux affaires illustrent bien la complexité de la question, et annoncent certainement une évolution très prochaine en matière de droit des marques.
Solène Hamon – Brigitte Spiegeler